— Nous sommes peut-être des héros, mais je ne peux pas croire que nous soyons libres.

— C'est évident, pourtant : nous les menons où nous voulons.

— Disposez-vous de vous-même à volonté ? Pour moi vous n'existez même pas, vous n'êtes qu'une voix.

— Je m’appelle Alfonso.

— Eh bien tant mieux, et c’est avec ce nom ridicule que vous voudriez agir sur lui et le mener où bon vous semble ? Mais c'est lui qui fait de nous ce qu'il veut ! S'il lui prenait l'idée, là, maintenant, de vous couper les deux mains, qu'est-ce que vous pourriez faire ?

— Comment s'y prendrait-il, si je n'existe pas, si je n'ai pas encore de mains ?

— La belle affaire ! Il lui suffirait de prévoir que vous avez été amputé à la suite d'un accident. Et voilà, terminé ! Les mains d’Alfonso n'existent plus, avant même d'avoir commencé à être...

— Taisez-vous donc ! Vous allez lui donner de sales idées.

— Il n'a pas besoin de moi pour ça.

— Je suis quand même libre, bon sang !

Alfonso se mit à crier.

— Libre de vivre, de marcher ! Libre d'avoir des mains ou de ne pas en avoir ! Libre de m'appeler...

Il se calma brusquement.

— Je m’appelle Alfonso, et vous Jimenez…

— Oui, c’est insensé !

— Pourquoi donc ?

— Eh bien, parce qu’ici, nous sommes en...

Un silence.

— Oui ? ricana Alfonso. Nous sommes... ? En Utopie ? En Absurdie ? En Onirie ?