Je tentai de rassembler mes pensées chaotiques.
Je regardai la jeune fille, au fond de ses beaux yeux clairs.
— Et toi, Galatée, as-tu atteint ton âge préféré ?
Ses yeux s'abaissèrent ; je fus stupéfait de voir une rougeur embarrassée enflammer ses joues.
Elle se tourna vers Laocôon, qui hochait la tête sur son banc d'un air songeur, puis me regarda.
— Pas encore, souffla-t-elle.
— Quand l'atteindras-tu, Galatée ?
— Quand j'aurai eu... l'unique enfant qu'on me permet. Tu comprends... (elle baissa les yeux sur ses pieds nus délicats.) On ne peut pas... avoir d'autres enfants... après.
— Qu'on te permet ? Mais qui permet ?
— Une loi.
— Encore les lois ! Est-ce que tout ici est gouverné par des lois ? Et le hasard, la chance, l’imprévu ?
— Qu'est-ce que c'est, la chance, le hasard ?
— Des choses inattendues, ce qu'on ne prévoit pas.
— Il n'y a rien de cela, ici, dit-elle dans un souffle. Tout est prévu, et rien n'échappe aux lois.
Je crus déceler de la nostalgie dans le son de sa voix. Laocôon releva la tête.
— Il suffit, dit-il brusquement.
Et, se tournant vers moi :
— Je connais ces mots que tu emploies : le hasard, la chance, les accidents, la maladie, la mort. Ils ne sont pas pour nous. Garde-les pour ton pays des ombres, ton pays irréel.
— Où les avez-vous entendus, alors ?
— De la mère de Galatée, répondit le Tisserand Gris. Ou bien de ton prédécesseur, un fantôme qui nous a rendu visite peu avant la naissance de Galatée.