— J’ai trouvé… j’ai trouvé un
couloir rouge...
— Où ça, Jimenez ? Où est-il ce
couloir ? Jimenez, vous m'entendez ?
— Il y avait une porte au bout, une
porte rouge… d'où sortaient une lumière vive, des éclairs... des bruits très forts,
des éclats de musique heurtée, des bruits de verre, de métal, de liquides...
C'était une salle immense, pleine d'appareils, de bruits, de cris, des boules
qui tournaient, des chiffres lumineux, des rouleaux, des cartes à jouer, des
sons stridents... Il y avait beaucoup de monde dans cette salle, tous ces gens
étaient affairés autour des machines... je pensai que c'étaient des machines de
jeu : des billards verticaux, des machines à sous, des manettes, des écrans
lumineux, des volants, des golfs en trois dimensions, des tubes de verre, des
cubes de plastique transparents, des chiffres de roulette, des coffres
métalliques avec des fentes, avec des lumières... Au plafond, des plaques de
verre qui tournaient, tout un peuple accroupi ou allongé contre les machines,
toute une foule qui cherchait à les éviter... De temps en temps, une plaque
touchait quelqu'un… le sang jaillissait... les autres essayaient de le tirer
par les bras ou les jambes, pour qu'il ne soit pas touché de nouveau... Il y
avait des meubles d'acier, avec des écrans lumineux, des tubes noirs fixés
devant, des cordes qui tombaient du plafond, des anneaux, des poutres... des
pistes de boules, des quilles, des sonneries, des manèges, des voitures, des
fusées...
Jimenez secouait la tête, grimaçant,
le front luisant, les doigts agrippés aux accoudoirs de son fauteuil.
— Je devenais fou dans la foule,
dans ce bruit, ces éclats... Je cherchai la sortie... il y avait des dizaines
de portes tout autour de la salle... Il y avait des dizaines de sorties… J'en
ai choisi une au hasard.
A bout de souffle, il se tut
quelques secondes, cherchant sa respiration.
— Il n'y avait... reprit-il dans un
souffle, il n'y avait pas de couloir, cette fois. Je me retrouvai dans une
pièce assez petite où était installée... une estrade surélevée...
Peu à peu, sa voix se raffermissait.
— ... entourée de piquets et de
cordes, comme un ring de boxe. Des cris sortaient de là, des cris perçants, des
cris affreux... Il y avait trois ombres debout sur le ring, entre les cordes...
trois ombres... qui portaient une ceinture à la taille, une large ceinture de
cuir... elles avaient un long fouet à la main, avec lequel elles frappaient...
quelque chose de petit et de rose... qui se débattait au milieu de l'estrade.
J'ai vu tout ça dans l'éclair d'une seconde... car j'étais à peine entré que
quelqu'un... quelque chose... se trouvant dans l'angle du ring m'a aperçu...
m'a crié d'une voix de métal : "Vous, là-bas, ne bougez plus, venez ici
!" J'ai regardé qui parlait... quelle chose me parlait... j'ai vu une
sorte de... personne... faite d'aiguilles de métal… d'éclats de glace... une
espèce de silhouette... mécanique et glacée... avec des cheveux brillants qui
tombaient... sur les coques d'acier des épaules... avec des bras de ressorts et
de câbles... qui tenaient une longue barre de métal recourbée... avec laquelle
il a tenté de m'accrocher. J'ai fait un saut en arrière... j'ai eu un hoquet
d'horreur... J'ai reculé vers la porte... Au moment où je m'enfuyais, l'espace
d'une fraction de seconde... la chose rose sur l'estrade s'est redressée et
j'ai vu... et j'ai vu...
Le visage baignant de sueur, Jimenez
secoua la tête en criant :
— Je ne peux pas vous dire ce que
j'ai vu !
Il laissa aller sa tête en arrière,
respirant bruyamment. Il grimaçait. Les muscles du cou tendu, il frotta sa tête
contre le dossier du fauteuil. Un moment passa. Alfonso restait immobile,
pétrifié.
Lentement, Jimenez reprit son
souffle. Sa respiration se calma. Gardant les yeux fermés, il continua son
récit :
— Je me suis enfui, j'étais affolé,
je me suis retrouvé dans la salle de jeux, j'ai dû me perdre dans la foule...
J'ai évité la plaque de verre qui tournait... j'ai cherché... j'ai trouvé une
autre porte...
— Quelle porte, Jimenez ?
Quelle porte, bon sang ?