— Elle revient ! Elle revient ! criait Jimenez.

Les quatre brutes se regardèrent. Le bûcheron fronça le sourcil.

Jimenez baissa soudain la voix :

— Ce déplaisir d'ombre... une suite de mots si gaie... l'écoutille, les voiles… souquez fermes, bande de ploucs ! ... tout en moi ralentit le savoir...

— Qu'est-ce qu'il raconte ? grogna le bûcheron. A tous les coups, les mecs, vous vous êtes gouré de produit !

— Pas du tout, regarde, dit Première-seringue.

Il lui montra un papier.

— Tu vois bien, bredouilla Seconde-seringue, tu vois bien…

— … comme ça, dit Comme-ça.

— … que c'est le machin habituel, enchaîna Première-Seringue.

— Ouais, ouais, reprit le bûcheron, pourtant y’a un os.

 

La tête de Jimenez s'était mise à osciller d'avant en arrière. Il se reprit avec de petites saccades, comme quelqu'un qui s'endort dans la position assise. Puis il se laissa aller, appuya sa nuque contre le dossier du fauteuil. Ses paupières s'abaissèrent ; il parut s'endormir, ses bras se détendirent, ses épaules tombèrent. Ses lèvres remuaient imperceptiblement. Brusquement, il soupira. Il se remit à parler, du ton d'un homme fatigué mais dont la diction est ferme et résolue :

— J’ai passé la porte blanche… Ils nous tiennent... Il y a de la neige, une forêt, du feu...

— Ça va pas, les gars, ça va pas du tout. On va nous passer un des ces savons...

— Faut l'interroger, Marcel ! dit Comme-ça. T'es là comme ça, tu le laisses causer, tu crois pas qu'y va tout cracher tout seul, comme ça quand même !

— Fais-le donc, toi, gros malin !

— Allez, m'sieur Jimenez, faut tout nous dire comme ça, maintenant !

— Des arbres tordus, dit Jimenez, de l'eau sale...

— Quels arbres, m'sieur Jimenez, où y a-t-il des arbres comme ça ?

— Des aiguilles de glace... des femmes en sueur...

— Où ça ? éructa le bûcheron. Explique-toi, mec.

— Des lettres... des couleurs, des couleurs... J’ai passé la porte et je suis revenu ! hurla soudain Jimenez, la bouche révulsée. Est-ce que vous comprenez ?

 

Une voix profonde retentit soudain.

— Opérateurs Cinq, Six, Huit, Onze. Au rapport immédiatement !

Le bûcheron bondit sur ces pieds.

— Mince, les gars ! chuchota-t-il. Qu'est-ce que je vous ai dit !

— Comme ça, ça va mal ! dit Comme-ça.

Ils se levèrent, ramassèrent les seringues. Chacun emportant sa chaise, ils passèrent la porte tous les quatre et disparurent.

— Jimenez ! appela Alfonso, toujours sanglé sur son fauteuil. Est-ce que vous m'entendez ?

— Ce qui m'ennuie le plus... marmonnait Jimenez.

— Il n'entend rien, bon sang ! Et cette foutue porte qui est restée ouverte... Si au moins je pouvais me débarrasser de ces sangles...

Alsonso se contorsionna sur son siège, cherchant à faire glisser les courroies. Respirant à fond, il tendit les muscles, puis expira bruyamment ; il abaissa ses épaules, essayant de replier les bras. Il dut bientôt renoncer. Il entreprit de balancer les pieds. Prenant appui sur le sol, il tenta de se relever. Il parvint de cette manière à faire avancer son fauteuil de quelques centimètres. Il balança les pieds de nouveau, prenant appui du talon, tenta de se relever. Par à-coups, jouant de la hanche et du talon, il réussit peu à peu à s'approcher du fauteuil de Jimenez. Ce dernier continuait à marmonner, les yeux clos.

Tout à coup, la porte se ferma en grinçant. Alfonso regarda autour de lui, sursauta.

— La porte, Jimenez, la porte ! Elle n'est plus là !