- Vois, chère ombre, souffla-t-elle, vois comment je viole la même loi que ma mère, et comme je suis heureuse d'affronter le chagrin que cela provoquera. Laocôon est d'une grande sagesse, ajouta-t-elle en posant sa main sur la mienne, et je devrais lui obéir ; mais cela dépasse sa propre sagesse, parce qu'il s'est laissé vieillir... Il s'est laissé vieillir, répéta-t-elle lentement.
Une étrange lueur brilla dans ses yeux clairs quand elle se redressa et se tourna vers moi.
- Cher cœur ! Cette chose, qui arrive aux vieux... cette... mort dont tu parles... Qu'y a-t-il ensuite ?
- Après la mort ? Nul ne le sait.
- Mais... on ne peut pas simplement... disparaître ! protesta-t-elle, la voix frémissante. Il doit y avoir un réveil !
- Qui sait ? murmurai-je. Certains pensent que nous nous réveillons dans un monde meilleur ; pourtant...
Je secouai la tête, désespéré.
- Ce doit être vrai ! cria-t-elle. Il faut que ce soit vrai ! Il doit bien y avoir autre chose pour toi que ce monde insensé dont tu parles !
Elle se pencha tout près de moi.
- Suppose, cher cœur, murmura-t-elle, suppose que, lorsque mon amant choisi arrivera, je le renvoie ; suppose que je n'aie pas d'enfant, mais que je me laisse vieillir, devenir plus vieille que Laocôon, vieillir jusqu'à la mort. Est-ce que je te rejoindrai dans ton monde meilleur ?
- Galatée ! m'exclamai-je, affolé. Quelle horrible pensée !
- Plus horrible encore que tu ne peux le supposer, murmura-t-elle, toujours tout contre moi. C'est plus qu'une violation de la loi : c'est de la révolte ! Tout est projeté, tout est prévu, sauf cela ; et si je n'ai pas d'enfant, sa place restera vide, et les places de ses enfants, et des enfants de ses enfants, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'un jour tout le grand plan de Paracosma échoue et ne puisse accomplir son destin, quel qu'il soit ! C'est de la destruction mais je... je t'aime plus que je ne crains... la mort !
Je la pris dans mes bras, la serrai contre moi.
- Non, Galatée ! Non ! Promets-moi !
- Je peux promettre et ne pas tenir ma promesse, souffla-t-elle.
Elle attira ma tête ; nos lèvres se joignirent et je sentis dans son baiser un goût et un parfum de miel.