Jamais dans ma vie
roman
de
Karni NINE
(Juin 2013, 142 pages, 12 €)
ISBN
979-10-90004-67-2
Un jour – il y a seize ou dix-sept ans – il avait demandé : « Si elle te questionnait, si elle venait à toi et te questionnait, te disait qu’elle veut savoir, qu’est-ce que tu dirais ? - Je lui demanderais ta main. Tu crois qu’on peut demander la main d’un homme à sa femme ? Parce que tu es un peu vieux pour que je m’adresse à ta mère ».
Qu’est-ce que j’aurais bien pu vous dire ? La question ne se posait pas et il n’était pas question qu’elle se pose : hors de question d’envisager une seule seconde une confrontation de vous à moi.
Les confidences finissent pourtant par se faire.
La femme demande « quand ? ». C’est la seule chose qu’elle demande, silencieuse le reste du temps face à une narratrice qui dit les débuts, dénoue les fils, remonte le temps.
Il y a d’abord l’adolescente aux joues rougissantes qui ouvre sa chemise pour offrir ses seins à l’homme qui se refuse. Il y a ensuite les rencontres de temps à autre, avec un homme qui se refuse toujours mais moins bien, moins fort…
Nous parlions donc. Il fallait parler. Beaucoup. Des mots et des mots, qui disent sans dire. Torrents qui se déversent, emportent l’essentiel, tentent de noyer le désir qui ne doit pas se dire, l’animent et le raniment. C’était gai. Toujours. Beaucoup de rires. Il parlait, je parlais, il riait, je riais. Et puis, le silence soudain. Le torrent se faisait mare à canards. N’emportant plus rien. Mots perdus dans la tension des corps qui se raidissaient, gauches et retenus. Les yeux qui se baissaient. Les mains retenues dans leur élan pour se tendre. Pas assez forts, les mots. Moins forts que les corps qui réclament et finissent toujours par avoir le dessus.
Un jour, l’homme ne se refuse plus. Forcément.
Alors une relation nouvelle se construit, sans promesse sinon celle d’une clarté nue, jusqu’à la vérité, jusqu’à la douleur.
Ce sont quarante ans d’une relation qui se racontent. Quarante ans de l’histoire de corps qui se cherchent, se trouvent, se frottent, se séparent. Une relation que tout condamne et que l’évidence justifie.
C’est une vie qui se raconte, tissée autour d’un homme, toujours là mais jamais vraiment là non plus.
L’homme de sa vie. Jamais dans sa vie.