LIBERTAD !
Olga était seule, sans personne avec qui
vraiment parler. Dans cette crise, où le confinement devenait obligatoire, la
sans domicile fixe errait sur le terrain de la solitude ; depuis la
pandémie, quelque chose s‘était cassé intérieurement. Et comme cette femme
n’avait plus de réel repère, ni même d’objectif précis, elle se préparait à
passer sa nuit en pensant à cette liberté qu’elle n’était pas près de
retrouver, prisonnière de cette jungle urbaine, sans autre solution que la rue pour
l’accueillir… Et cette vilaine toux qui l’empêchait de respirer…
Les cris et les bravos fusaient
par-delà les balcons, elle n’en avait cure, elle n’était pas impliquée. Olga
s’endormit sur ses cartons, à même le sol, dans l’anonymat le plus total. Elle
était bien plus isolée qu’une étoile au milieu du cosmos. Alors
imaginez-vous sa surprise, au lever d’un autre jour, peut être au coucher d’une
autre nuit, quand une drôle de petite voix la réveilla.
- S’il te plait,
Madame… Dessine-moi la Paix !
- Comment ? fit Olga.
- Dessine-moi la
Paix !
La femme se figea. La vision qu’elle
avait de ce moment singulier était incroyable.
Elle frotta ses yeux et vit, entre deux
immeubles de la rue, une petite colombe blanche tout à fait extraordinaire qui
la considérait gravement.
Quand Olga réussit à parler, elle lui
dit :
- Mais qui es-tu
? Que fais-tu là, dans cette rue ?
Et la colombe blanche lui répéta alors,
tout doucement, comme une chose très sérieuse :
- S’il te plait…
Dessine-moi la paix !
Aussi absurde que cela semblât, dans le
désert de sa solitude, la femme sortit de sa mémoire quelques pensées qu’elle
essaya d’organiser.
Olga se rappela alors qu’elle avait
toute sa vie lutté pour la paix et la liberté dans
cette société corrompue par la matérialité et la cupidité des hommes. Elle dit
à la petite colombe blanche qu’elle ne savait pas dessiner.
La colombe répondit :
- Ça ne fait rien…
Dessine-moi la paix !
Comme Olga n’avait jamais dessiné
quelque chose d’aussi abstrait que la Paix, elle prit un morceau de craie qu’elle
utilisait pour marquer son passage dans les rues de cette mégalopole. Ainsi sur
ce trottoir, elle essaya de tracer ces quatre lettres : PAIX.
Elle fut stupéfaite d’entendre la petite
colombe blanche lui répondre :
- Non, non et non ! Je
ne veux pas du « P » de Prison, ni du « A », de Abandon et encore moins
de ce « I » de Isolement et pas plus du « X » de Xénophobie. Le mot
Paix est nu de toute humanité et de toute compassion. Chez moi c’est tout bleu
et j’ai besoin que l’on me dessine cette Paix…
« Dis, dessine-moi
la Paix !
Alors la femme chercha une fois encore
dans ses souvenirs, si lointains pour elle, et dessina un énorme cœur.
La petite colombe blanche la regarda
attentivement :
- Ce cœur saigne de
toute la souffrance du monde… il est seul, comme toi ! Dessine-moi la
Paix !
Olga, maladroitement, traça, avec le
bout de son petit bout de craie, ce qui pouvait ressembler à un rameau
d’olivier.
La petite colombe blanche
sourit gentiment, avec indulgence.
- Tu vois, ce rameau d’olivier va
mourir, tu viens de le couper de sa source de vie.
La femme refit encore un
autre dessin, un arbre entier.
- Celui-là est trop dépouillé, ses
branches tombent. Il est accablé par le feu que l’homme a allumé pour
construire l’édifice de son désespoir. Je veux une paix qui soit heureuse.
Alors Olga, faute de patience, dans son
désespoir et comme elle avait hâte de terminer avec ce rêve qui ne la menait
nulle part, ouvra les voies de son devenir et dessina une fenêtre, premier passage
vers la liberté, puis elle lança à la colombe blanche :
- Ça, c’est la fenêtre de la liberté. Une
liberté ouverte sur notre devenir. A l’horizon derrière cette ultime barrière,
il y a des mains serrées entres elles pour former un cordon humain, comme des
guirlandes sur un arbre de Noël. Des mains tendues pour éviter que les âmes
prisonnières, comme moi, ne se perdent dans ce dédale de l’oubli, des grands
cris de solidarité pour que la terre entière puisse entendre les appels de
liberté, des milliers de couleurs pour que le cosmos soit éclairé par la
lumière de l’amour…
« Et la Paix que tu veux est
derrière cette fenêtre, par ces mains tendues, ces cris de solidarité, ces
milliers de couleurs. C’est une fenêtre de Paix qui unit tous les hommes, tous
les animaux, tous les végétaux, tous les minéraux, tout le savoir né sur cette
terre.
Olga fut bien surprise de voir
s’illuminer la tête de la petite colombe blanche.
- Oui ! Voilà la Paix.
Faudra-t-il beaucoup de mains tendues derrière cette fenêtre pour pouvoir la
traverser et être libre de donner la Paix à tous ?
- Pourquoi ?
- Parce que chez moi,
la seule main tendue que nous ayons est le cœur que nous nous partageons.
- Ça suffira sûrement.
Je t’ai donné une petite fenêtre et quelques cris de solidarité, mais dans
chacun de ceux-ci il y a une main tendue et un cœur à donner.
C’est ainsi que la femme fit la
connaissance, ce matin-là, d’Adovès, la petite
colombe blanche.
Tel un oiseau qui plane aux confins de
l’espace et du temps, telle une colombe blanche étrange et rebelle qui s’envole
toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus haut.
Chacun tente de trouver sa liberté,
chacun recherche sa vérité.
C’est donc cela,
l’illusion dû à l’isolement, pensa Olga.
Elle ne put s’empêcher de sourire
intérieurement. Il était sans doute irrespectueux d’analyser la situation
présente au moment même où elle était immergée dans les vapeurs oniriques de
l’instant.
La rue s’entrouvrit, Adovès, la petite colombe blanche, qui volait dans les nimbes
bétonnées de la ville, lui cria :
- Saisis les mains tendues,
Femme de Paix ! Et continue à la dessiner !
Puis elle disparut dans l’espace du
bonheur, car elle devait encore et encore et toujours donner cette Paix, l’aile
tendue vers le refuge de l’amour éternel…
Une ombre s’abattit sur Olga, un homme
vêtu de blanc venait de surgir, il était devant elle, lui tendant la main… Elle
ne toussait plus.
- Señora Olga, es LIBERADA !
C’est à ce moment-là
qu’Olga vit cette grande lumière blanche. Elle venait d’être libérée des
turpitudes urbaines et de sa misère quotidienne. Elle avança dans cette lumière.
Il y avait bien longtemps qu’Olga
n’avait pas ressenti une telle chaleur.
Elle continua
à avancer sans se retourner jusqu’à disparaître dans son horizon de paix et de
félicité…
Remerciements au Petit Prince, à son père Antoine de
St. Exupéry,
à Richard Bach et à son Goéland, Jonathan
Livingston,
qui ont si bien dessiné la Paix
Serge Leterrier